TOP

Habiter, demain : 4 tendances

“Nous avons besoin de remettre de la culture, de la singularité dans nos constructions »

Àl’heure où les évolutions apportées par le numérique transforment l’ensemble du secteur immobilier, un cycle de conférences-débats est organisé par Habx et La Maison de l’architecture IDF  pour interroger la fabrique de la ville. J’ai eu l’occasion d’animer le premier rendez-vous sur « La data et l’habitat : Quels logements ? » en présence de plusieurs professionnels (architecte, bailleur, élu, startuper) ayant initié des projets d’innovation à partir de la data. Retour rapide sur quatre grandes tendances relevées.

Low-Tech / Hight-Tech : un duo au service de la data

Pour Marc Barani, architecte, scénographe et notamment lauréat du prix du Grand prix national de l’architecture en 2013, le bâtiment a d’abord des contraintes (réglementaires, techniques, énergétiques…). Vouloir ainsi implémenter une couche numérique dans l’industrie de la construction, c’est composer avec, d’un côté, un monde physique et, de l’autre, un monde virtuel, autrement dit mobile, flexible et ubiquitaire. Donner les propriétés du monde virtuel au bâtiment ouvre beaucoup de perspectives, comme la réversibilité d’usage, la démultiplication des services. Pour l’architecte, il s’agit donc de libérer le bâtiment de ses contraintes, à commencer par celles liées à l’ingénierie des fluides (réseaux d’eau, d’air et d’électricité) afin de permettre aux structures d’évoluer en même temps que les usages.

C’est ainsi que le Laboratoire de recherche de la Caisse de Dépôts a créé, par exemple, avec une équipe pluridisciplinaire le projet BRAZZA à Bordeaux, un prototype de plancher innovant intégrant tout un système avec réseaux intégrés dans sa structure préfabriquée. En hybridant low-tech, pour les matériaux utilisés, et high tech, pour les modes de calcul, nous avons pu allier conformité et flexibilité spatiale, précise t-il.

La data et l’habitat doivent donc être pensés sur site, quand on construit, pour une réelle effectivité de la modélisation architecturale.

Data et Economie collaborative : une tendance de fond

Pour Benjamin Delaux, président-fondateur d’Habx, une start-up qui a développé une plateforme pour créer et commercialiser des logements neufs sur-mesure, c’est l’économie de partage qui donne une autre lecture du logement.

Cette tendance serait à prendre au sérieux puisque selon les prévisions du cabinet PwC (étude 2016) son chiffre d’affaires d’ici 2025 en Europe serait estimé à 83 milliards d’euros. L’économie de partage pourrait en effet bien devenir LE modèle de performance dans une Europe qui cherche la croissance, précisait cette même étude.

Et pour cause : « On a tous, aujourd’hui, de supers calculateurs dans nos mains », a rappelé Benjamin Delaux en levant son smartphone.

« C’est derrière ces capacités de calcul que l’on va pouvoir transformer nos architectures en intentions plus humaines, tournées sur les services à la vie quotidienne » explique-t-il. C’est aussi la voie pour créer des communautés de lien et de nouvelles chaines de valeurs (économiques, humaines, eco-responsables…).

Créer une plateforme numérique, comme le développe Habx, c’est donc traiter en masse de la donnée brute pour en sortir des spécificités techniques mais aussi de nouveaux usages fondés sur l’économie collaborative.

Data, innovation : des outils de redéploiement pour nos villes

Selon Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, parler de data et de logement c’est d’abord re-questionner le modèle de concentration urbaine de nos métropoles.

« Ce postulat de densification urbaine n’a rien d’une fatalité », exprime-t-il.

En effet le progrès technologique – de part sa nature réseautique – devrait au contraire nous permettre de corriger ce que la révolution industrielle a engendré (individualisme, mono-fonctionnisme, concentration…). L’innovation doit être pensée comme un outil de redéploiement. Il faut ainsi prendre la technologie du point de vue holistique. Cela veut aussi dire pour un élu qu’il faut la penser/l’articuler comme dispositif de ré-appropriation de l’espace public. Plus concrètement, qu’il faut :

« Aller au-delà d’un foncier et d’un immobilier PLU (pour Plan Local d’Urbanisme) », précise Jean-Christophe Fromantin.

Le danger serait en effet celui du « syndrome Amazon », d’une « data » comme système de vie, et non dans un projet de vie. C’est préférer commander sa baguette sur Amazon, plutôt que d’aller à la boulangerie. Un scenario qui en se naturalisant, en se développant via un écosystème d’usages propres à chacun – nous ferait tomber dans une servitude volontaire technologique sans aucune perspective d’altérité. L’apolitique d’une telle gestion de la donnée nous isolerait dans une bulle d’usages, à l’image de ce que nous commençons à connaître avec les bulles de filtres sur les réseaux sociaux. Il est donc important de dessiner un corps organisé du réseau. Et cela passe par la politique.

 « La data ne doit pas régler nos projets de vie. »

C’est ainsi qu’au sein du laboratoire des transformations urbaines de Neuilly, nous fonctionnons à partir de grand défis (qualité de l’air, bruit, végétalisation, stationnement, mobilités douce), et de besoins clairement identifiés en amont de toute incrémentation technologique. La data vient, seulement, ensuite, y répondre.

Enfin, la lecture politique que l’on peut donner à la data est aujourd’hui essentielle afin de lutter contre le phénomène de la standardisation de nos villes.

« Nous avons besoin de remettre de la culture, de la singularité dans nos constructions », insiste Jean-Christophe Fromantin.

La data utile n’existe pas sans traitement et interopérabilité des systèmes

Quant à Pierre Paulot, directeur de la maîtrise d’ouvrage Immobilière 3F, administrateur de la Maison de l’architecture Ile-de-France, il rappelle que nous utilisons encore de façon très archaïques les données accumulées.

« Il y a pour l’industrie immobilière, d’abord, un enjeu de structuration des données », plaide-t-il ainsi. En effet la difficulté pour un bailleur tient dans le tri de ces données. « Nous utilisons une quarantaine d’outils de gestion locative, et ces outils ne sont pas encore interopérables », relève-t-il par ailleurs.

Ressaisir des informations entre départements, entre dispositifs techniques, etc. est une véritable perte de gain (coût, temps). Or notre métier a pour seul critère le ROI (retour sur investissement) sur la donnée, rappelle-t-il ainsi.

Une logique de bon sens qui peut-être aussi appelle à rationnaliser les dispositifs techniques, les alléger et surtout les penser dans un réseau d’écosystème interopérable avant de les lancer…