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Bernard Michel

Jean Beunardeau

HSBC

“Pour résoudre certains des objectifs de développement durable plus rapidement, il faut exploiter le pouvoir des marchés”

Finance durable : de quoi parle-t-on (vraiment) ?

L‘investissement d’impact (« impact investing »), qui vise à surmonter les défis environnementaux et sociaux tout en réalisant un rendement financier, est l’une des classes d’actifs de Wall Street qui connaît la plus forte croissance.

Depuis l’invention de ce terme en 2007, c’est 502 milliards de dollars américains qui ont été investis à l’échelle mondiale dans des actifs réputés « faire une différence », selon une première tentative de les mesurer, en avril dernier, par le Global Impact Investing Network.

Et aujourd’hui, l’investissement responsable s’inscrit dans une tendance encore plus large, celui de l’investissement socialement responsable (ISR). Ce dernier a atteint 30,7 milliards de dollars d’actifs cette année, selon la Global Sustainable Investment Alliance.

En avril, l’International Finance Corp. de la Banque mondiale prévoyait que la taille des stratégies à impact – incluant les obligations vertes – pourrait atteindre 21 milliards de dollars sur les marchés publics et 5 milliards de dollars sur les marchés privés (si 10 % des actifs détenus dans le monde par les institutions et les ménages y étaient consacrés), relate ainsi l’article « Do-Good Capitalism Has to Act as If the World Depends on It » de Bloomberg.

Ainsi une tendance de fond semble s’installer. Une part importante de cette dynamique de croissance autour de la finance durable et responsable provient de la forte communication des banques auprès des investisseurs. L’enjeu : tirer profit du système capitaliste pour résoudre certains des objectifs de développement durable (*) plus rapidement en exploitant le pouvoir des marchés.

Alors, comment comprendre ces nouveaux modèles financiers ? Comment fonctionnent-ils entre valorisation des « effets externes positifs » et arrêt de financement pour certaines « externalités négatives » notoires ? Sont-ils réellement nouveaux ? Passent-ils forcément par la régulation ? Y a-t-il vraiment un modèle européen de la finance durable ? Rencontre avec Jean Beunardeau, Directeur général, HSBC France.

Comment réagit HSBC à la question du durable ou non durable ? Et qu’est-ce que ça veut dire ?

Jean Beunardeau : Il y a déjà deux sujets à distinguer : le sociétal et le climatique. Ces dernières années le sociétal a progressé plus vite que le climatique parce que la crise financière de 2008 a fait naitre des interrogations, venues de toute la société, concernant l’intégration ou non de l’intérêt général, la participation ou non au développement des communautés, ou encore la « raison d’être » des banques, en-dehors de la notion de profit à court terme.

De sorte que dans le secteur bancaire nous nous sommes très vite posé la question de notre influence et de notre rôle dans la société en général. Les excès de marché – qui relèvent de la finance financière – étant traités par la réglementation et les gouvernements.

Les banques ont donc apporté plusieurs réponses, certaines n’étant pas d’ailleurs nouvelles mais reformulées, renouant ainsi avec l’ADN de la banque traditionnelle qui culturellement et historiquement a un rôle de long terme en recyclant l’épargne dans l’investissement et en l’affectant vers des investissements suffisamment rentables pour assurer le remboursement de leur dette. Structurellement la banque doit donc être utile aux communautés.

 

Car un investissement non rentable est un investissement qui n’a pas d’utilité collective.

 

Une fois que l’on a dit ça, une nuance importante doit être apportée: lorsque que l’on regarde un investissement à financer, il a d’un côté son utilité, sa rentabilité socio-économique pour la collectivité, de l’autre sa rentabilité financière pour celui qui le finance. Et la différence entre les deux – qui peut être nulle dans certains cas – est importante si l’investissement génère effets externes positifs mais qui ne peuvent pas être monétisés sans soutien public. Ces investissements privés doivent donc être soutenus par différents biais comme des co-financements, des garanties ou des subventions.

Ces dernières années, c’est justement là que l’on a commencé à voir l’implication de plusieurs gouvernements (que ce soit sur le sociétal ou le climatique) qui se sont rendu compte que de nombreux effets externes positifs ne se faisaient pas faute de « déclencheurs ».

Quels sont les déclencheurs de la finance durable ?

Par exemple, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (qui fait partie du Groupe BEI) ne proposait pas depuis un certain temps des garanties, comme le faisait la Sofaris ou aujourd’hui la BPI en France. Il s’est remis à en faire dans le cadre du plan Juncker. En effet lorsqu’une entreprise fait de l’innovation elle ne récupérera pas 100% de la valeur de cette innovation sur le court terme. Le premier élément de la finance responsable concerne donc les effets externes positifs. Ils justifient une subvention publique.

 

Et la garantie est un bon moyen de s’inscrire dans la durabilité.

 

L’Europe en a ainsi pris conscience : elle ne finançait que des infrastructures traditionnelles, depuis surtout les premières années post-2008. Les investissements ont rapidement chuté (-15% les premières années). Avec le plan Juncker l’Europe s’est ainsi remise à garantir l’innovation dans les entreprises. Au total, ce sont 315 milliards d’euros d’investissements de 2015 à 2018 qui ont été mobilisés, et à l’horizon 2020 l’objectif a été porté à 500 milliards d’euros. Ainsi, le Fonds européen d’investissement (FEI), filiale de la Banque européenne d’investissement (BEI), est particulièrement sollicité puisqu’il finance les projets innovants des PME et ETI. En France, 500 000 PME en ont bénéficié, par exemple.

Le deuxième élément de la finance responsable se rapporte aux effets externes négatifs d’un investissement qui doivent être pris en compte avant de décider ou non de le financer. Par exemple, en ce qui concerne les effets externes négatifs environnementaux, HSBC ne finance que des investissements respectant les « Principes Équateur 3 » depuis 2014, autrement dit les projets répondant à un nombre de critères d’évaluation sociaux et environnementaux.

S’engager aujourd’hui dans le « business » de la finance durable nécessite-il d’avoir des positionnements plus forts ? Sommes-nous à l’heure des choix ? Les données climatiques peuvent-elles réellement aujourd’hui être intégrées dans les modèles mathématiques des banques pour établir nos choix en matière d’accroissement des risques liés aux changements climatiques, ou est-il préférable de se concentrer sur la mesure de l’empreinte carbone des portefeuilles d’activités pour briser la « tragédie des horizons » ? Autant d’enjeux sur lesquels nous nous sommes entretenus pour le prochain billet commun. À suivre.

[1] (*) 17 objectifs de développement durable ont été par exemple pointés par les Nations Unies – allant du ‘zéro faim’ dans le monde à l’énergie propre.