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Jean Beunardeau

HSBC

“L’engagement : une nouvelle forme de leadership »

C’est à l’occasion du premier Global Sustainability Forum de Fortune à Yunnan – où de nombreuses déclarations de dirigeants ont montré que le développement durable est au centre de l’intérêt des entreprises – que je souhaite vous partager mon récent échange sur la finance durable.

Alors que dans un premier entretien avec Jean Beunardeau, Directeur général d’HSBC France, nous sommes revenus sur les déclencheurs mis en place dans le domaine de la finance durable, ce second échange nous a permis de revenir sur :

  • certaines idées reçues quant aux faisabilités liées aux données climatiques dans les modèles financiers relatifs à la gestion des risques,
  • sur les moyens permettant aujourd’hui de faire respecter les engagements de la finance durable,
  • sur le potentiel d’innovation de la technologie des énergies nouvelles.

Un sentiment commun ressort : l’engagement discrétionnaire appartient déjà à une nouvelle forme de leadership. Entretien.

 

Concernant le climatique, les données sont-elles aujourd’hui intégrées dans les modèles mathématiques des banques ?

Jean Beunardeau : Sur le climatique, il y a eu un débat. Les modèles mathématiques actuels ne permettent pas encore d’intégrer mécaniquement les données du changement climatique dans l’accroissement des risques, et donc dans la décision de ne pas faire de financements au nom des risques liés aux changements climatiques (alignés sur la trajectoire des 2 degrés de l’Accord de Paris). Le lien est trop « diffus ». On manque de données précises permettant de mesurer les impacts physiques affectant l’activité économique au quotidien et les contreparties. Certains soulignent, cependant, un rapprochement des météorologistes avec Wall Street. Ceux-ci anticipent par exemple les retards de navigation, les risques pour les plateformes pétrolières flottantes, etc. dans un monde où les catastrophes climatiques de plusieurs milliards de dollars (sécheresse, tempêtes, inondations…) tendent à se multiplier.

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En 2017 seules 8% des entreprises interrogées à l’échelle mondiale ont ainsi attribué leurs efforts de communication en matière de risques climatiques aux recommandations du Groupe de travail TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) du Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board, FSB). En Europe, ce sont 23% des entreprises qui ont déclaré avoir voulu mettre en œuvre ces recommandations.

En revanche, sur le réchauffement climatique, ce qui tend à se généraliser c’est la mesure de l’empreinte carbone des portefeuilles d’activités. Briser la « tragédie des horizons »concept proposé par Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre et Président du Conseil de Stabilité Financière, en septembre 2015, trouve par cette approche pleinement sa place.

Cette démarche sur nos stratégies d’investissement relève du discrétionnaire (approche sélective d’un côté, approche d’exclusion de l’autre) consistant à décider de financer ou d’attribuer volontairement une part de nos financements à des projets ayant un impact positif sur la décarbonation et à ne pas pratiquer un certain nombre de financements ayant un impact trop négatif sur le climat, et ce même lorsqu’ils sont rentables. À ce titre, HSBC en tant que groupe, a annoncé 100 milliards de dollars de financements pour des projets « green », concernant par exemple les énergies renouvelables ou des entreprises qui, de par l’évolution de leurs investissements, diminuent leur consommation énergétique.

Dans le cadre du plan Junker, en juin dernier, nous avons également signé un double accord financier (public – privé) avec le Groupe BEI (Banque Européenne d’Investissement). Ce dernier distribue en effet des financements à des taux préférentiels à des banques qui elles-mêmes peuvent les prêter à des entreprises. Ainsi nous avons décidé de réserver 100 millions d’euros à des projets « verts » sur les 500 millions d’euros de financement aux PME et MidCaps (entreprises dont la capitalisation boursière est comprise entre 250 millions et 1 milliard) prévus dans le premier accord.

En termes de stratégie d’exclusion, le groupe HSBC a, par exemple, décidé de ne plus financer le charbon ou les centrales à charbon, à l’exception de trois pays qui n’ont pas d’autres options pour apporter l’électricité aux communautés qui y vivent : le Vietnam, le Bangladesh, et l’Indonésie.

De même nous avons décidé de ne pas financer de pétrole subarctique.

Nous évoluons ainsi d’un pur raisonnement de risque de crédit « classique » pour privilégier une stratégie d’engagement discrétionnaire. Et l’arrêt des financements de projets liés aux énergies fossiles, les plus intensifs en carbone et non compatibles avec une trajectoire de 2 degrés, est la voie la plus suivie aujourd’hui par les banques, comme le révèlent les engagements collectifs du 2 juillet visant à contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique et imposant notamment à chacun de ses acteurs de définir une « stratégie charbon » d’ici à la mi-2020.

Comment fait-on aujourd’hui pour faire respecter ces engagements dans les décisions ?

Jean Beunardeau : Cela passe par un engagement très fort des banques de structuration de financements verts, mais aussi de structuration de leurs levées de fonds auprès des banques ou sur les marchés de capitaux pour garantir le caractère « green ». Nous le faisons pour nous, pour nos clients et pour les investisseurs qui recherchent ces financements sur les marchés des capitaux ou à travers une structuration en crédit.

Concrètement HSBC a par exemple été la première banque à avoir lancé un Etat européen sur une obligation verte (les titres de dette émis sur les marchés financiers et destinés à financer spécifiquement la transition énergétique) sur les marchés de capitaux avec la Pologne.

Aujourd’hui ce type d’émission s’est banalisé. 

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Mais il y a trois ans tout le monde ne savait pas structurer une obligation verte et garantir aux investisseurs que les titres qu’ils allaient acheter portaient sur des emplois dont le fléchage était correctement surveillé. Les crédits green aussi se développent, au bénéfice des clients mais aussi des investisseurs qui ont une véritable appétence pour ces actifs mais veulent être sûrs qu’en green ou en ISR ce qu’on leur dit est vrai. La finance durable peut être ISR ou « green » : pour les investisseurs ce sont deux choses très différentes. L’ISR est une notion plus large et comportant de nombreux de critères (de gouvernance, de secteurs, de pricing) qui requièrent une « due diligence » détaillée pour offrir aux investisseurs des produits labellisés ISR et vérifier le respect des critères. Le green est plus simple: il consiste à flécher l’emploi des fonds à des actifs et les faire vérifier par un tierce partie.

On voit toutefois rarement des cas où des individus/des sociétés ne feraient que du green, sans aucune démarche ISR ou inversement que de l’ISR. Cela correspond au même souci d’humanité durable.

Comment vérifier que cette démarche soit active ?

Jean Beunardeau : En économie de marché, l’activité est toujours liée à l’offre et à la demande : plus l’offre est importante, plus il y a d’investissements ISR, plus les banques les proposent à leurs clients qui eux-mêmes ont une incitation à en acheter, plus on a des produits ISR. C’est une boucle vertueuse avec comme limite le fait que la performance des produits ISR doit être satisfaisante et qu’aujourd’hui nous avons encore un vrai enjeu de pédagogie du concept en tant que tel.

À cet égard la Commission Européenne vient tout juste de définir les bases techniques d’un langage commun, un référentiel concernant ce qui est ou non dans l’activité économique durable pour permettre aux investisseurs et aux entreprises d’identifier les secteurs qui génèrent des bénéfices environnementaux.

La finance durable est-ce aussi un sujet innovation/technologie ?

Jean Beunardeau : On observe dans le domaine du climat une vraie ligne de fracture entre la vision technophile, et celle visant à arrêter les financements du charbon et du pétrole. En réalité aujourd’hui l’objectif très ambitieux de baisse des émissions de CO2 requiert d’utiliser les deux moyens. Chez HSBC nous avons la conviction que la technologie des énergies nouvelles s’imposera par une combinaison d’effet prix, de subventions des énergies renouvelables(EnR), d’ailleurs en baisse constante, et de taxation des externalités négatives. On observe en effet une tendance de fond de croissance de l’investissement dans les EnR.

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Nous sommes à la veille d’un effondrement des prix de de l’électricité renouvelable. L’enjeu du stockage des EnR est donc la prochaine étape, notamment pour l’hydrogène qui sera une révolution pour l’ensemble des secteurs et des comportements. Beaucoup d’enjeux macro-économiques, de choix stratégiques seront ainsi ouverts à une « économie à somme positive ».