Grandes villes et canicules : adaptons-nous rapidement !
Inondations, canicules, tempêtes…Les grandes métropoles et leurs habitants sont impactés de plein fouet par le changement climatique. À titre d’exemple, Paris s’est réchauffée de +2,3°C depuis l’ère préindustrielle. Les climatologues envisagent même des pics à 50°C l’été dans les prochaines décennies.(Cf l’actualisation de l’étude de vulnérabilité et de robustesses de Paris face au changement climatique). Ce phénomène a alors de nombreuses conséquences : sur la qualité de l’air, sur la quantité et la qualité de la ressource en eau, sur la biodiversité, et en somme, sur nos manières d’habiter nos villes.
L’urgence climatique affecte le monde entier
Bernard MICHEL
Sécheresse printanière dans la péninsule ibérique et le Maghreb, feux de forêts au Canada, canicule humide en Asie du Sud : partout dans le monde, les catastrophes climatiques se succèdent. Elles provoquent des drames humains et infligent d’importants dégâts aux régions qui en sont victimes. Les villes sont particulièrement vulnérables à ces épisodes extrêmes qui vont se multiplier dans les décennies à venir.
Mais elle se précise aussi en France : la canicule a frappé 52 départements pendant le mois d’août et nous a une nouvelle fois rappelé à l’ordre : selon les estimations de l’Agence Santé Publique France, 400 décès de plus que la normale, soit une hausse de 5,4% durant cette vague de chaleur.
L’été 2023, bien que sans canicule, aura été le quatrième plus chaud depuis 1900.
Les réglementations se succèdent avec le plan climat, la Réglementation environnementale 2020, le projet de Plan local d’urbanisme bioclimatique de la ville de Paris qui se concentre sur la végétalisation et la rénovation thermique.
C’est très ambitieux et de nombreuses voix s’élèvent pour signaler que les objectifs sont très volontaristes voire irréalisables. La Loi climat et résilience a fixé l’interdiction de louer des logements classés dès 2025. Or tous les experts estiment qu’il faut compter au moins 3 ans pour concrétiser des travaux de rénovation énergétique en copropriété.
Le nouveau Ministre du logement, Patrice Vergriete, a indiqué qu’il s’interrogeait et envisageait une approche plus progressive pour éviter une interdiction massive de la location de logements. L’idée serait d’identifier les améliorations minimales permettant à un logement de passer de la catégorie G à F, ce qui permettraient d’offrir un sursis de 3 ans au propriétaire avant d’entreprendre des rénovations plus conséquentes nécessitant l’accord de la copropriété
Il nous faut chercher des solutions nouvelles :
- Mettre à profit les innovations pour optimiser l’utilisation des bâtiments et permettre de nouveaux usages, moins consommateurs d’énergie et adaptés au climat futur;
- Utiliser les nouvelles technologies pour apprendre à mieux gérer sa consommation d’énergie ;
- Privilégier les solutions les plus pratiques, simples, abordables, pour le logement ancien.
Le rôle des investisseurs institutionnels qui détiennent des patrimoines de logement est majeur car ils peuvent dégager les moyens financiers et industrialiser la rénovation du patrimoine résidentiel ancien. Mais l’impulsion peut également venir des villes qui mettent en œuvre la zéro artificialisation nette, et peuvent imposer des îlots de fraîcheur, de pleine terre ou fixer des normes énergétiques pour les projets immobiliers. Et tous les habitants doivent apprendre à changer leurs habitudes de consommation énergétique pour contribuer à la décarbonation de leur logement.
Franck LIRZIN
En effet, parce qu’elles sont très minérales et souvent exigües, les villes seront confrontées à des vagues de chaleur de plus en plus fortes et précoces, et exacerbées par l’effet d’îlot de chaleur urbaine. L’Organisation mondiale de la Santé estime que 15 000 personnes sont décédées en Europe des suites des canicules successives de l’été 2022. Ces fortes chaleurs ne sont pas qu’un problème de confort : elles sont un enjeu de santé publique, que ce soient pour les habitants ou les travailleurs.
A cela s’ajoutent d’autres impacts. Le phénomène de rétraction des sols argileux pendant les périodes de sécheresse qui fragilise les bâtiments aux fondations légères. En France, cet aléa concerne 4 millions de maisons individuelles. La chaleur endommage aussi les infrastructures essentielles de transport ou d’électricité, et cause de fortes perturbations du fonctionnement des villes.
Les villes sont également confrontées aux conséquences de l’élévation du niveau des océans et aux risques accrus de tempêtes et d’inondations. Les villes, qui abritent aujourd’hui un être humain sur deux et, demain 3 sur 4, doivent se préparer à l’intensification et la multiplication de ces phénomènes climatiques.
La plupart des bâtiments et des espaces urbains n’ont pas été conçus pour y faire face. A Paris par exemple, la majorité des immeubles a été construite à la fin du petit âge glaciaire et avant l’augmentation des températures. Elle a été conçue pour protéger ses habitants du froid, mais pas du chaud. Ses toits en zinc, mondialement connus, sont aujourd’hui un anachronisme dans une ville qui aura le climat de Séville dans trente ans.
La pose de brumisateurs dans l’espace public ou de pare-soleils au-dessus des rues est une réponse utile mais timide à ces bouleversements.
C’est toute la ville, dans son mode de fonctionnement, dans ses usages, dans son architecture, qu’il faudra repenser. Imaginer des villes moins minérales et beaucoup plus végétales et plantées, réintroduisant l’eau dans l’espace public sous forme de fontaines, de rus ou de stockage, développant des infrastructures de production collective de froid comme la géothermie.
Les solutions d’adaptation sont connues et maîtrisées, comme par exemple le blanchiment des toits qui permet, à un coût très raisonnable et à grande échelle, de limiter fortement l’échauffement des bâtiments.
La politique du logement
Bernard MICHEL
Une véritable politique du logement (et du transport) est nécessaire pour relancer la construction de logements abordables, tout en accélérant l’adaptation au changement climatique.
L’Etat a tendance à renvoyer les décisions au plan local et à fixer des objectifs et des normes. Y a t’il une place pour une politique publique nationale, notamment dans les zones denses ? Le développement du télétravail constitue t’il une solution grâce à la réduction de l’utilisation de transports ? (cf Une mission d’information formule 85 recommandations pour éviter que la capitale ne devienne inhabitable une partie de l’année.) L’avenir appartient-il encore aux mégapoles et aux grands quartiers d’affaires ?
Autant de questions qui nous invitent à imaginer la ville de demain…
A quoi ressemblerait Paris adaptée et décarbonée ?
Franck LIRZIN
- Ce serait d’abord une ville plus verte, plantée d’arbres (qui seraient choyés) et débitumée au possible, aux façades végétalisées.
- Ce serait aussi une ville gérant mieux ses ressources (l’eau, le froid, l’énergie) par le développement de récupération d’eaux de pluie, de réseaux de froid ou l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments.
- Ce serait enfin une ville de la proximité, avec une place plus importante des transports en commun et des mobilités douces, mais aussi une ville ouverte et élargie (car la gestion des ressources et le déploiement de solutions n’a de sens qu’à l’échelle du Grand Paris).
Une ville-éponge, une ville-forêt, une ville du quart-d’heure, une ville inclusive, une « écotopie » : il y a beaucoup à imaginer, et à rêver. L’urgence climatique nous y oblige.
L’adaptation au changement climatique est un enjeu de long terme qui permet de refaire démocratie à l’échelle d’une copropriété, d’une rue, d’un quartier. Cet effort nécessite un travail collectif, associant experts, propriétaires et locataires, pouvoirs publics, entreprises, afin que l’adaptation climatique soit plus qu’une réponse de court terme, mais une façon de repenser la ville.
Cette réponse collective est d’autant plus importante que les effets du changement climatique frapperont davantage les quartiers et les habitants les plus défavorisés. Les passoires thermiques sont aussi vulnérables au froid qu’au chaud. Les quartiers les plus pauvres sont souvent aussi ceux qui n’ont pas d’accès aux espaces verts, ou qui sont très bitumés.
Pour que les inégalités climatiques ne s’additionnent pas aux inégalités sociales, une solidarité territoriale est indispensable.
Au-delà des réglementations, il s’agit d’opérer un changement de nos modes de vies en dessinant un “autre modèle urbain” et de nous mobiliser tous ensemble.
Le rôle des collectivités locales, des investisseurs institutionnels et particuliers est stratégique pour faire évoluer le modèle. l’Etat doit concevoir une politique publique de la ville et du logement abordable qui prenne également en compte la nécessaire adaptation de notre habitat au changement climatique.
Par :
- Bernard Michel, Président de Viparis, PDG de la Société immobilière du Palais des congrès (SIPAC) à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la région Paris Ile-de-France. Ancien Président de Gecina.
- Franck Lirzin, Directeur de la transformation de SNCF immobilier, Ingénieur du corps des Mines, Ancien Directeur exécutif de Gecina et auteur de “Paris face au changement climatique”.