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“Au-delà de la loi PACTE, un modèle économique pour l’Europe”
Au-delà de la loi PACTE, un modèle économique pour l’Europe
Nous serions entrés dans une ère de « l’économie à somme positive », autrement dit où la gouvernance d’entreprise dépasserait la vocation économique pour s’emparer des grandes questions posées à la société comme l’intégration, l’environnement, la justice sociale.
Sorte d’ironie du sort, faudrait-il alors pour les gouvernances financières du modèle capitaliste préférer détourner la fameuse formule anthologique du film Wall Street : « Greed is Good » en » Greed is (NOT) good (anymore) » pour renouer avec la croissance ? (La croissance mondiale devrait en effet atteindre 3,5% cette année contre 3,8% en 2018, selon les dernières projections du Fonds monétaire international (FMI, janvier 2018). Un ralentissement de la croissance en 2019 pour 70% de l’économie mondiale, pointe le dernier rapport sur les Perspectives de l’Economie mondiale (PEM)).
Plusieurs signes ont en effet été lancés ces dernières années, dont le dernier en date (et peut-être le plus relayé) est celui de la Lettre de Laurence D. Fink, PDG du plus important gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock, adressée à ses investisseurs. « A Sense of Purpose » inscrivait par ses mots une prise de conscience quant à la nécessité d’un nouveau modèle de gouvernance d’entreprise se mettant au service de tous.
En France, le rapport Notat-Senart puis la loi PACTE se sont appuyés sur des convictions déjà partagées par des entreprises engagées dans cette voie à l’instar de Veolia avec son président-directeur général Antoine Frérot qui en 2018 parlait de l’entreprise comme d’un collectif utile à chacun où l’économie deviendrait une « économie à somme positive ».
« Il faut aujourd’hui imaginer un nouveau paradigme de l’entreprise. Une entreprise qui sert différentes parties prenantes, qui elles-mêmes s’y engagent, s’y impliquent et y prennent des risques : les actionnaires, les salariés, les clients, les fournisseurs, les territoires et même les générations futures », déclarait ainsi Antoine Frérot au 5ème Sommet de l’Économie du magazine Challenges.
Même point de vue chez Emmanuel Faber dans son discours de juin 2016 à HEC :
« Désormais l’enjeu de l’économie, l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale ».
Derrières ces déclarations, ce sont de nombreux enjeux allant de la crise de la défiance (marquée par 2008) à l’empreinte écologique globale en passant par la montée des inégalités.
Cette nouvelle trajectoire de la gouvernance d’entreprise – dont les sujets extra-financiers remonteraient et traverseraient toute la chaine de création de valeur – répond bien moins à un effet de mode qu’à une compétitivité par l’innovation sociale, technologique et environnementale re-définissant de nouvelles frontières économiques et géopolitiques, dont l’Europe pourrait se voir écartée si elle n’en prenait pas les devants.
Le lexique de la post-RSE (RSE pour Responsabilité sociale des entreprises) se développe d’ailleurs de plus en plus outre-Atlantique : la Skoll Foundation promeut l’entrepreneuriat social, Kramer et Porter mobilisent la notion de « création de valeur partagée » (« The Big Idea: Creating Shared Value », HBR, 2011), celui aussi de la communauté des « B Corp » (‘B’ pour Benefit) aux Etats-Unis.
Il s’agit de répondre au désaveu d’un capitalisme cumulatif en « fin d’Histoire » (pour reprendre l’expression de l’économiste Fukuyama) se devant de composer avec une époque de la rareté, y compris celle du Talent comme l’annonçait dès 1998 le cabinet d’audit McKinsey dans son étude « The War of Talents ».
La profitabilité et la croissance des années 80, d’abord subordonnée à la Technique, devront, demain, innover par leurs modèles économiques. Une page de l’histoire Economique serait ainsi en train de s’écrire.
En France un cadre législatif vient d’être adopté pour faire évoluer ce modèle de l’intérieur. Il s’agit de la loi PACTE qui dans son dernier volet vient re-définir la place de l’entreprise dans la société́ en affirmant son rôle social et environnemental et associant plus fortement les salariés aux résultats et à l’actionnariat de leur entreprise. L’objet social de l’entreprise doit aussi pouvoir préciser sa « raison d’être ».
Alors, quel est le rôle du législateur dans ce mouvement ? Qu’entend-on par « raison d’être des entreprises » ? Comment la rendre efficiente ? Plus largement l’Europe de la dernière chance ne devrait-elle pas trouver dans le modèle responsable une réponse à l’axe économique sino-américain? Mon entretien avec Roland Lescure, Député des Françaises et des Français d’Amérique du Nord, et rapporteur général sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises pour de premières réponses.
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Adoptée en avril 2019 la loi PACTE consacre la notion de RSE comme socle de l’entreprise. L’objet social ne serait ainsi plus simplement être une considération de l’action publique mais aussi une question pour les actionnaires, pour le privé. Parallèlement on relève que 90% des sociétés du G250 (entreprises les plus performantes du monde issues du classement « Fortune 500 ») publient des rapports intégrés (reporting extra-financier). Ces derniers sont désormais vus comme de véritables indicateurs de bonne gouvernance. La loi PACTE est-elle donc le reflet d’un changement de fond de la perception de l’entreprise ?
Roland Lescure : Ce mouvement existe déjà ailleurs, un peu partout dans le monde, avec un cercle vertueux dans lequel l’ensemble des acteurs (entreprises, investisseurs, actionnaires, consommateurs) sont embarqués. Vous avez cité plus haut BlackRock. On aurait pu mentionner la Caisse de dépôt de placement du Québec ou encore le fonds souverain Norvégien en avance sur ces sujets – et notamment sur celui du climat. Les actionnaires s’y mettent donc – ne serait ce que pour les clients et leurs parties prenantes. Tout comme les consommateurs, qui deviennent des consom’acteurs par la prise en main de leurs décisions d’achat, ou encore les salariés pour qui l’élément RSE prime de plus en plus dans le choix de l’entreprise. Et, depuis que j’effectue mon tour de France de la PACTE, j’observe que les entreprises qui sont encore loin d’intégrer la question de la RSE sont conscientes qu’aujourd’hui elles doivent le faire pour assurer le « gagnant-gagnant » de la libéralisation des économies qui profite à tous.
Quel est alors le rôle de l’Etat ?
Roland Lescure : Dans ce contexte le rôle de l’Etat va être multiple, le législateur est lui le garant et le représentant de l’intérêt général, intergénérationnel et pour les générations de demain.
La loi PACTE relève davantage d’une philosophie de la responsabilisation que de l’obligation.
Cependant l’enjeu est de pouvoir sécuriser les acteurs de ce mouvement et donc de s’éloigner de plus en plus de la logique du label. Une RSE doit se vivre plutôt que de s’objectiver uniquement par les données et pour la donnée.
Au-delà de la nécessité qu’au XXIe siècle les taxes doivent jouer leur rôle au même titre que toutes leurs parties prenantes, la loi PACTE est pensée sur trois niveaux d’intégration des politiques responsables.
Le premier est celui de l’intérêt social. Il vient modifier le code civil (aux termes de l’article 169) qui définit les fondamentaux de ce qu’est une entreprise en France en y consacrant pour toutes les entreprises le fait de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de [leur] activité ».
Toutes doivent ainsi se poser la question de leur empreinte environnementale et sociétale…
… est-ce (vraiment) obligatoire ?
Roland Lescure : C’est tout le débat qu’il y a eu avec le rapport Notat/Senard. Dans les faits, aujourd’hui, il n’y a pas en tant que telles de contraintes juridiques si ce n’est dans l’énoncé de l’article 1833 rappelant qu’une entreprise est là pour ses actionnaires mais aussi pour s’interroger sur son impact sociétal et environnemental.
Mais c’est l’intérêt d’avoir pensé cette loi en plusieurs niveaux ! Le deuxième étage est ainsi, lui, plus contraignant et indique que l’objet social peut préciser la raison d’être de l’entreprise constituée. Il s’adresse aux entreprises qui souhaitent adopter une « raison d’être » dans leurs statuts, et donc faire valider aux actionnaires, dans le cadre d’une assemblée générale, des actions à conduire. La « raison d’être » peut-être liée à la mobilité durable, à l’empreinte environnementale, ou encore à une politique de gestion des ressources humaines inclusives.
Quant au dernier niveau, il vise à formuler un nouveau statut à l’entreprise. C’est ce que l’on appelle « l’entreprise à mission ». Ce statut vient renforcer les contraintes de l’entreprise pour lui permettre d’adopter une mission, autrement dit « une raison d’être » plus exigeante pouvant aller « sacrifier » une partie des profits de l’entreprise pour livrer la « raison d’être ».
Comment rendre efficient ce nouveau statut « d’entreprise à mission » ?
Roland Lescure : Dans la loi nous avons qualifié un certain nombres de paramètres validant le fait « qu’une entreprise à mission » est bien une « entreprise à mission ». C’est à dire qu’une « entreprise à mission » doit par exemple mettre en place un comité de parties prenantes indépendant du comité d’administration. Selon le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, ou encore le type de « raison d’être » adopté, ce comité prend une forme différentes (ONG, clients, associations, intellectuels, salariés, actionnaires…). Ce comité est chargé d’assurer la mission de l’entreprise.
C’est un peu la réponse Française à la « B Corp » américaine – sachant que le statut est resté lâche pour s’adapter à toutes les tailles d’entreprise.
Loi PACTE offre-t-elle une nouvelle voie pour le capitalisme ?
Roland Lescure : Il faut d’abord faire le constat que le capitalisme – tel qu’il se développe depuis la chute du mur de Berlin – a créé le pire et le meilleur. Le meilleur c’est une création de richesse mondiale qui ne cesse de progresser (+66% depuis 2014, selon le rapport The Changing Wealth of Nations 2018), les 1 milliard de personnes qui sont sorties de la pauvreté, enfin une capacité d’innovation inégalée.
Le pire ce sont bien sûr les inégalités de revenus insoutenables et les pressions sur l’environnement qui le sont tout autant.
Aujourd’hui il y a urgence de faire évoluer ce modèle de l’intérieur.
Il s’agit d’éviter ce que l’on a connu historiquement : les inégalités de revenus records ont conduit à des révolutions, des guerres civiles, des guerres mondiales, voire les trois à la fois.
C’est une vision holistique qu’il faut avoir pour embarquer tous les acteurs : des entreprises conscientes de leur RSE ; des consomac’teurs pour pousser le mouvement et un secteur financier misant sur une finance durable, verte et des eco-secteurs porteurs d’une croissance nouvelle.
Selon l’OCDE, la loi PACTE augmentera dans 10 ans le potentiel de croissance française de 0,4%. La loi PACTE peut-elle être aussi vue comme un rendez-vous européen à ne pas manquer ?
Roland Lescure : Oui, elle doit se lire comme une véritable stratégie Française de compétitivité au sein de l’Europe mais comme pouvant devenir une stratégie européenne au sein du monde afin de faire émerger un modèle capitaliste européen dans lequel la RSE fait partie de la marque de fabrique de l’Europe.