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Antoine Frérot

Véolia

“Il est urgent de réconcilier les entreprises et l’économie de marché avec les populations”

Trois convictions partagées avec Antoine Frérot, président Veolia pour une vision rénovée de l’entreprise.

Nous devons voir la « raison d’être » comme une étape, et uniquement une étape

Antoine Frérot : La « raison d’être » est une étape (et seulement une étape) de la vision rénovée de l’entreprise du XXIème siècle. Depuis quarante ans nous vivons en effet selon l’héritage et les influences de Milton Friedman. Il s’agit d’une culture actionnariale de l’entreprise qui vient la positionner comme un modèle avec un seul objectif : les résultats économique et financier. Cette vision renvoie à l’idée que c’est parce qu’une entreprise est prospère qu’elle est utile. Or, aujourd’hui ce paradigme ne correspond plus aux attentes de la société. Il est même renversé : c’est parce que les entreprises sont utiles qu’elles sont prospères. Par conséquent, l’entreprise doit désormais avoir plusieurs objectifs à maximiser correspondant aux différents intérêts de ses parties prenantes. Nous passons à l’« entreprise à objectifs pluriels ». Ces objectifs peuvent être parfois contradictoires. Il convient alors d’arbitrer entre les intérêts des parties prenantes et ceux de l’entreprise afin de s’assurer qu’au final ils ne soient pas que perçus comme des contraintes, mais des opportunités qui s’inscrivent dans la chaîne de valeur de l’entreprise et du marche. Des entreprises à « performances plurielles » dépendra l’avenir du capitalisme. Par objectifs pluriels, on peut entendre : intérêts des actionnaires certes, mais aussi du salarié, du client, des fournisseurs, des associations – dont la mission tourne autour de l’objet de l’entreprise – et aussi des générations futures, avec notamment la question des enjeux environnementaux. Mais, pour être crédible, il faut faire des choix cohérents et durables.

Nous devons passer à une gouvernance plus inclusive pour une « économie à somme positive »

Antoine Frérot : La formulation de la « raison d’être » ne suffit pas. Il s’agit de la faire approprier par chacune des parties prenantes. Cela oriente fondamentalement la stratégie de l’entreprise : il ne s’agit pas de seulement s’intéresser au « quoi » de l’entreprise, mais aussi au « pourquoi elle existe ». C’est notre vision stratégique pour Veolia en 2020-2023 : nous avons déjà formulé l’utilité de notre entreprise afin qu’elle soit partagée. C’est une nouvelle façon de gouverner, plus inclusive, que nous sommes invités à mettre en place en tant que dirigeant. La formulation de la « raison d’être » a donc été construite à partir des nombreuses participations de nos parties prenantes, allant des salariés (avec une consultation Internet qui a produit plus de 1600 propositions remontant du monde entier), jusqu’au monde académique ou à celui des organisations internationales. Veolia dispose d’un comité des « amis critiques » qui vient aider à l’énonciation des objectifs de l’entreprise. Pour arriver à un consensus au sein du conseil d’administration (CA) quatre réunions ont été effectuées avant de pouvoir présenter la « raison d’être » à l’assemblée générale (AG). C’est à partir de cette base que nous construisons notre stratégie et nos indicateurs de performances plurielles. À charge ensuite au conseil d’administration (CA) de les valider et d’en vérifier la progression et l’exécution. Nous intégrerons bien sûr des objectifs économiques et financiers aux côtés d’une série de trois à quatre objectifs sociaux, et autant concernant l’environnement – mais aussi des objectifs vis-à-vis de notre clientèle, ainsi que de nature éthique. Il s’agit de transformer la vision classique des conseils d’administration. Des représentants des salariés sont présents dans les Conseil d’Administration, mais il faut désormais aussi prendre en compte l’intérêt des autres parties prenantes. Nous allons transformer notre comité des « critical friends » de Veolia en comité des parties prenantes, avec des représentants des fournisseurs, des générations futures, des académiques et des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ainsi, ce comité formulera des recommandations à l’entreprise pour permettre d’harmoniser nos différents objectifs.

L’avenir du capitalisme dépendra de l’élargissement de la vision de l’entreprise

Antoine Frérot : C’est effectivement une réponse au scepticisme qui croît au sein des populations concernant l’apport de l’économie de marché à la société. La confiance s’érode notamment depuis la crise de 2008. Le système économique est clairement questionné aujourd’hui sur son utilité pour l’ensemble de la société. Sous le modèle Friedman, les enjeux sociétaux et environnementaux étaient abordés comme un système de contraintes et délégués aux politiques via la réglementation ou la législation. Aujourd’hui, le monde politique ne peut plus représenter seul l’intérêt de ces parties prenantes. L’entreprise, mais aussi ses dirigeants, sont attendus au-delà des objectifs financiers. Et je pense qu’il est en effet urgent de réconcilier les entreprises et l’économie de marché avec les populations.

L’entreprise doit prendre des risques dans ces engagements. Les nouvelles générations ne se contenteront pas de la raison d’être. Elles voudront des preuves qui correspondent. Il faudra apporter des résultats qualitatifs et quantitatifs. Même si la gouvernance par les nombres est un peu limitative dans la compréhension des domaines complexes de l’entreprise, la crédibilité passera par des chiffres vérifiables.

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