Tribune l’opinion
“L’innovation dans l’immobilier au bénéfice de tous” avec Robin Rivaton
Bernard Michel et Robin Rivaton: «Les acteurs traditionnels ont été peu incités à innover car face à une demande croissante et une offre contrainte, l’innovation n’était pas nécessairement un investissement rentable. La baisse du coût des technologies ainsi que l’arrivée de nouveaux acteurs ont changé ce paradigme »
Bernard Michel et Robin Rivaton ont reçu en février 2019 de la part de Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement, une lettre de mission visant à accélérer le développement de l’innovation, numérique, mais pas uniquement, dans le secteur de l’immobilier. L’Opinion publie leur première tribune.
« La crise du logement n’épargne plus aucune ville dans le monde. De San Francisco à Beijing, en passant par Londres ou Berlin, de plus en plus d’habitants dans les pays développés éprouvent les pires difficultés à se loger au sein des grandes métropoles où se concentrent l’activité et les emplois. Les classes moyennes et les familles se trouvent repoussées, le sentiment de relégation grandit et c’est une contestation sourde qui peut exploser à tout moment. Les causes de ce phénomène sont multiples et nous ne pouvons pas perdre plus de temps à rechercher des coupables ou des boucs émissaires.
Le manque de logements, face à une demande qui a explosé en quelques années, est la raison principale de cette montée des prix. Il n’y a pas de réponse immédiate à cela car l’immobilier est un marché où les cycles de production sont longs, très gourmands en capitaux et empreints d’irrationalité. Le premier levier d’action est politique. Le marché est très dépendant des décisions des collectivités locales et de l’attractivité du régime fiscal pour les investisseurs institutionnels.
Si l’innovation des acteurs privés ne remplacera jamais l’action politique, elle a la responsabilité de l’aider et l’accompagner pour résoudre cette fracture spatiale croissante
Gentrification. Des initiatives locales ici ou là ont montré comment agir efficacement pour prévenir l’exclusion, la ségrégation ou la gentrification. Si ce n’est ponctuellement les signaler pour que les pouvoirs publics puissent les évaluer et les tester comme le fait la loi Elan, il n’est pas de notre ressort d’insister là-dessus. En revanche, nous voulons dire que si l’innovation des acteurs privés ne remplacera jamais l’action politique, elle a la responsabilité de l’aider et l’accompagner pour résoudre cette fracture spatiale croissante.
L’immobilier et la construction ne génèrent pas ou peu de gains de productivité. Les prix des biens et services associés ne baissent alors que ceux d’autres secteurs, comme les produits électroniques, s’effondrent. Aujourd’hui des technologies sont disponibles pour repenser toute la chaîne de valeur du secteur immobilier. Un certain nombre d’entre elles sont déjà connues et ont été opérationnellement éprouvées, du Building Information Modeling à la blockchain en passant par les drones ou les objets connectés.
Une myriade de jeunes entreprises est désormais en train de combiner ces briques technologiques pour aboutir à des modèles économiques susceptibles de générer de réels gains de productivité. Les données publiques et privées sont collectées dans des volumes chaque jour plus importants et rendues disponibles. Il est désormais possible de connaître gratuitement les prix, les caractéristiques des biens et les règles d’urbanisme.
Chez Real Estech, nous venons de publier notre baromètre annuel des start-up de l’immobilier et de la construction en France. Il y a eu 62 levées de fonds qui ont permis de lever 204 millions d’euros en 2018, contre 177 millions en 2017 (+15 %). Ce n’était que 15 millions d’euros en 2015. Si les montants levés par les entreprises en amorçage est sont en baisse, ils sont plus que compensés par les levées sur les Series A et B. Les start-up de l’immobilier et de la construction ont des résultats tangibles, génèrent du chiffre d’affaires et à ce titre attirent des investisseurs qui parient sur leur croissance future.
Proof of concept. Ces chiffres sont encourageants mais notre conviction est que l’innovation doit désormais offrir de réels gains de productivité à tous et pas seulement de nouveaux usages à quelques-uns. Il faut maintenant franchir le pas de l’expérimentation, du test ou du POC (proof of concept) pour aller vers des solutions industrielles qui vont permettre de rendre la rénovation énergétique compétitive, de réduire la vacance résidentielle en permettant un meilleur appariement entre bailleurs et locataires, de restructurer des bâtiments commerciaux obsolètes en des locaux adaptés aux usages de demain comme la logistique de proximité.
Si cela est en train de se produire sur certains marchés comme la transaction immobilière avec les offres à prix fixe, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que l’innovation ait un impact concret sur les prix des logements et des services qui les entourent. En moyenne, les Français consacrent un cinquième de leurs revenus aux dépenses de logement, à savoir les loyers, les remboursements d’emprunt et les charges, déductions faites des aides au logement. Ce taux d’effort a augmenté d’un quart depuis l’an 2000.
La baisse de la valeur est un tabou car nos sociétés reposent sur l’appréciation implicite du patrimoine immobilier. Il n’y a pourtant pas de crainte à avoir là-dessus. C’est même la logique finale de toute industrie. Il n’y a aucune raison que l’immobilier occupe une part croissante du budget des ménages. La demande est tellement contrainte que même avec des prix plus bas, l’industrie aurait de quoi poursuivre à un même volume d’activité.
Cette transformation des acteurs français est une urgence aussi pour l’emploi national. Car la valeur est en train de devenir mobile. Des déplacements de la valeur entre les différents acteurs sont en cours avec l’émergence de compétiteurs. Déjà les géants du numérique pointent le bout de leur nez, les fameux GAFAM, mais aussi des super fonds comme le japonais Vision Fund qui a déjà investi quelques-uns de ses 100 milliards de dollars dans Oyo, Compass, Mapbox, WeWork.
De nouvelles entreprises très largement financées sont capables de pendre des positions fortes en quelques années seulement. Katerra, créée en 2015, a levé 230 millions de dollars et est rentré dans le top 25 des constructeurs généraux aux Etats-Unis. Ces nouvelles entreprises ont de plus en plus les moyens de leurs ambitions. Ces start-up ont levé pas moins 10 milliards en 2018.
Les gains de productivité dans cette activité étant liés à l’industrialisation, les sites doivent être concentrés donc localisés loin de l’immeuble, la hausse des coûts de transport étant largement compensée par la baisse des coûts de production
Ressources localisées. L’activité immobilière est depuis toujours considérée comme une activité locale, préservée de la concurrence internationale. Hormis le financement qui implique pour les plus grosses opérations des flux venus de l’étranger, les autres activités reposent essentiellement sur des ressources localisées à proximité de l’immeuble. Les matériaux de construction, les travailleurs, les services de transaction, maintenance ou de gestion, tous appartenaient à une aire géographique environnante.
La préfabrication, qui se répand des denses métropoles asiatiques aux zones pavillonnaires américaines, permet de produire des modules en deux ou trois dimensions qui sont ensuite assemblés sur le chantier. Les gains de productivité dans cette activité étant liés à l’industrialisation, les sites doivent être concentrés donc localisés loin de l’immeuble, la hausse des coûts de transport étant largement compensée par la baisse des coûts de production.
Du côté des services, la numérisation rend possible la localisation de la valeur ajoutée prélevée par des plateformes d’intermédiation comme Opendoor à distance du bien pour lequel ces services s’opèrent.
Les acteurs traditionnels ont été peu incités à innover car face à une demande croissante et une offre contrainte, l’innovation n’était pas nécessairement un investissement rentable. La baisse du coût des technologies ainsi que l’arrivée de nouveaux acteurs ont changé ce paradigme. Désormais l’innovation est une condition indispensable de survie. Elle peut et doit également revêtir une dimension sociale en permettant, en complément d’une action publique résolue, de rendre nos métropoles plus accessibles même si cela signifie baisser les prix. »
Bernard Michel est élu de la CCI de Paris Ile-de-France et président de VIPARIS gestionnaire de sites de congrès et de salons. Robin Rivaton est investisseur, auteur de L’immobilier demain, des rentiers aux entrepreneurs (ed. Dunod, 2017). Ils sont respectivement président et directeur général de Real Estech, association loi 1901 qui promeut l’innovation dans l’immobilier en rassemblant les start-ups et grands groupes du secteur.